Que pensent les élu·e·s municipaux canadiens de l’augmentation de la valeur des propriétés ? Perspectives de 2020 à 2024

Audrey Brennan, INRS-UCS

2024-10-16

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Introduction

Alors que la crise du logement touche l’ensemble du pays, diverses mesures ont été adoptées par les différents niveaux de gouvernement pour tenter d’enrayer cette crise. Le logement est en effet une responsabilité partagée entre les échelons fédéral, provincial et municipal. Responsables du zonage et de l’application des politiques fédérales et provinciales en matière de logement, elles définissent également les taxes municipales. Calculées en fonction de la valeur d’une propriété, celles-ci affectent le coût d’hébergement pour tous les ménages canadiens, et ce, qu’ils soient locataires ou propriétaires.

Dans un tel contexte, il apparait nécessaire de connaitre l’opinion des élu·e·s sur l’augmentation de la valeur des propriétés. Cela est d’autant plus intéressant que les provinces ne se sont pas toutes dotées des mêmes outils en matière d’habitation. À titre d’exemple, les provinces de la Colombie-Britannique, du Manitoba, de l’Ontario, du Québec, de l’Île-du-Prince-Édouard et du territoire du Yukon encadrent les augmentations de loyers. Connaitre l’opinion des élu·e·s municipaux sur la hausse de la valeur des propriétés peut ainsi enrichir les réflexions sur l’ampleur de la crise du logement selon les contextes locaux et sur les pistes de solutions à déployer.

 

Méthodologie et données

Les enquêtes du baromètre municipal du Canada en 2020, et de 2022 à 2024 ont demandé aux élu·e·s municipaux de prendre position sur l’affirmation suivante :

« C’est bon pour un quartier lorsque la valeur des propriétés augmente, quitte à ce que certaines personnes aient à déménager »

 

Plusieurs choix étaient offerts aux répondant·e·s : pas du tout d’accord, plutôt en désaccord, plutôt d’accord, tout à fait d’accord, ne sait pas. Année après année, le nombre d’hommes ayant participé à nos enquêtes est plus élevé que le nombre de femmes, traduisant de fait la représentation moins grande des femmes dans les conseils municipaux du Canada (tableau 1, voir aussi Artiles et coll., 2024).

Ensuite, bien qu'une question sur l’augmentation des valeurs des propriétés ait été posée en 2021, à savoir : « Les municipalités devraient investir dans le logement abordable, même si cela influence négativement les valeurs des propriétés voisines », nous l’écartons de cette discussion puisqu’elle ne nous permet pas de suivre l’opinion des élu·e·s en 2021 de la même manière. Enfin, bien que nous ayons quelques répondants des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et du Nunavut, nous les excluons de cette analyse car il y a si peu de répondants provenant de cette région.

 

Tableau 1: Nombre de répondant·e·s par genre et vague de sondage

2020 2021 2022 2023 2024 Total
Hommes 455  - 502 448 433 1838
  68.73%  - 59.83% 60.79% 62.30%
Femmes 207 - 337 289 262 1095
  31.27%  - 40.17% 39.21% 37.70%
Total 662 839 737 695 2933

 

À travers chaque vague, les femmes représentent au moins 30% et au plus 40% des répondants, tandis que les hommes représentent au moins 60% des répondants et au plus presque 70% des répondants en 2020.

 

Tableau 2. Origine géographique des répondant·e·s

2020 2021 2022 2023 2024 Total
Colombie-Britannique 83 81 107 99 370
  12.54% 9.65% 14.52% 14.24%
Prairies 124 144 152 114 534
  18.73% 17.16% 20.62% 16.40%
Ontario 239 278 252 250 1019
  36.10% 33.13% 34.19% 35.97%
Québec 163 268 173 167 771
  24.62% 31.94% 23.47% 24.03%
Atlantique 53 68 53 65 239
  8.01% 8.10% 7.19% 9.35%
Total 662 839 737 695 2933

Les deux provinces ayant le plus de répondant·e·s et ayant participé aux différentes enquêtes sont l’Ontario et le Québec et représentent plus de 50% des répondant·e·s en moyenne, suivis des provinces des Prairies (l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba) représentant environ 20% des répondants, de la Colombie-Britannique (entre 10% et 14%), et des provinces de l’Est du Canada (Atlantique : le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve-et-Labrador) entre 7% et 9%.

 

Les élu·e·s municipaux majoritairement en désaccord avec l’idée que l’augmentation des valeurs des propriétés est bonne pour un quartier, quitte à ce que certaines personnes aient à déménager

Le tableau 3 présente les réponses de tous les répondant·e·s ayant participé aux différentes enquêtes. Ce tableau inclut tous les répondant·e·s s’identifiant comme un homme ou une femme. Deux tendances ressortent. Premièrement, les élu·e·s municipaux sont majoritairement « plutôt en désaccord » avec l’énoncé. Deuxièmement, d’autres sont « plutôt en accord ».

 

Tableau 3. Positionnement des répondant·e·s par année

2020 2021 2022 2023 2024 Total
Pas du tout d’accord 88 187 135 97 507
  13.29% 22.29% 18.32% 13.96%
Plutôt en désaccord 292 321 331 334 1278
  44.11% 38.26% 44.91% 48.06%
Plutôt d’accord 240 264 213 214 931
  36.25% 31.47% 28.90% 30.79%
Tout à fait d’accord 28 58 22 26 134
  4.23% 6.91% 2.99% 3.74%
Ne sait pas 14 9 36 24 83
  2.11% 1.07% 4.88% 3.45%
Total 662 839 737 695 2933

 

Figure 1: Opinions des élu·e·s par genre et par province

Premièrement, les provinces de l’est du Canada (Atlantique), sont celles où les différences entre le positionnement des élues et des élus sont les moins grandes. Deuxièmement, les femmes sont majoritairement plutôt en désaccord et pas du tout d’accord avec l’énoncé, et ce, particulièrement en Ontario en 2022 et 2023. Les élus ontariens, quant à eux, sont également davantage pas du tout d’accord avec l’énoncé en comparaison avec leurs homologues des autres provinces. Toutefois, cela s’explique par le fait que la majorité des répondant·e·s sont issu·e·s du Québec et de l’Ontario. D’ailleurs, le plus haut taux de plutôt en désaccord avec l’énoncé se retrouve chez les élues québécoises.

 

Que retenir ?

Les données du BMC-CMB nous confirme que la vaste majorité des élu·e·s municipaux canadiens sont plutôt en désaccord avec l’énoncé sur la hausse des valeurs des propriétés. Toutefois, une distinction existe dans les positionnements entre les élues et les élus. Les réponses des élus tendent en effet à se diviser en deux : certains sont plutôt en accord avec l’augmentation de la valeur des propriétés tandis que les autres sont plutôt en désaccord avec cette hausse. De façon générale, les élues sont majoritairement plutôt en désaccord avec l’énoncé sur la hausse de la valeur des propriétés. Nos données ne nous permettent pas d’expliquer cette différence de positionnement entre les hommes et les femmes.

Plusieurs hypothèses peuvent cependant être émises. Premièrement, les élues pourraient être plus sensibles aux enjeux sociaux (Blidook Koop et Lucas, 2022), tels que les conséquences de l’augmentation de la valeur des propriétés. Ensuite, les élu·e·s municipaux peuvent faire face à des pressions fiscales, ce qui pourrait orienter leur position. Les réponses des élu.e.s peuvent également être influencées par leurs relations avec les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral, qui jouent un rôle dans les politiques de logement. Finalement, les réponses pourraient être liées à la taille de la municipalité des répondant·e·s, les élu·e·s de grandes villes étant confronté·e·s à des dynamiques immobilières différentes de celles des petites municipalités.

Le baromètre porte bien son nom. En s’appuyant sur les réponses des élu·e·s municipaux, il permet de mieux aborder certains enjeux de politique publique. Bien que les données seules ne puissent répondre à toutes les questions sur les défis de la gouvernance multiniveaux associés au logement, elles dressent néanmoins un portrait pan-canadien du positionnement des élu·e·s au fil du temps.

 

Références

Artiles, Alexandra, Susan Franceschet, Jack Lucas, Sandra Breux, et Meagan Cloutier. « Women's Representation in Canadian Municipalities. » Urban Affairs Review (2024): 10780874241228558.
Blidook, Kelly, Royce Koop, and Jack Lucas. «Municipal representation style and focus: Evidence from Canadian mayors and councillors. » Representation 58, no. 4 (2022): 603-622.