Sandra Breux, INRS
La fonction élective municipale est souvent appréhendée à travers le rôle des
élu·e·s et plus généralement à travers le degré de professionnalisation de cette
fonction. Selon Mévellec et Tremblay, cette approche par le « rôle » permet de
saisir le quotidien de ces élu·e·s et surtout « 1) l’image que ces élues et élus
ont du rôle politique qui leur incombe; 2) leurs perceptions des attentes de
leurs commettantes et commettants et plus généralement de leurs divers
partenaires » (2016, 124). Ce que les élu·e·s aiment ou aiment moins de leurs
fonctions est, à notre connaissance, une question plus rarement posée. À l’heure
où les démissions d’élu·e·s font les manchettes dans certaines provinces et que
le harcèlement que subissent certain·e·s édiles questionne la santé de notre
démocratie, il est pertinent de regarder les aspects que les élu·e·s apprécient
ou apprécient moins de leur fonction.
En 2020, la première enquête du Baromètre municipal du Canada posait les deux
questions suivantes :
What's the best part of your job as an elected mayor or councillor?(Quel est
l'aspect le plus intéressant de votre travail en tant qu'élu·e municipal·e ?)
et What's the worst part of your job as an elected mayor or councillor? (Quel
est l'aspect le plus difficile de votre travail en tant qu'élu·e municipal·e
?)
Ces deux questions étaient des questions ouvertes permettant aux répondant·e·s
de s’exprimer comme ils et elles le souhaitaient.
Tableau 1. Nombre de réponses par genre et par question
Questions | Men | Women | Total |
---|---|---|---|
Quel est l'aspect le plus intéressant de votre travail en tant qu'élu·e municipal·e ? |
412 | 184 | 596 |
Quel est l'aspect le plus difficile de votre travail en tant qu'élu·e municipal·e ? |
408 | 182 | 590 |
Nous avons analysé l’ensemble de ces réponses en réalisant des nuages de mots
qui permettent ainsi de visualiser rapidement la fréquence des mots les plus
souvent employés. La taille du mot est proportionnelle à sa fréquence dans les
réponses.
En prenant en compte l’ensemble des réponses – tous postes, genre, langue
confondus – la réponse à notre première question permet de dresser trois
constats. Premièrement, des verbes d’action sont utilisés pour répondre à cette
question. Les occurrences les plus fréquentes sont : aider, agir et rencontrer,
suivis d’« être capable » et de « faire ». Deuxièmement, ces verbes sont
majoritairement associés aux mots « communauté », « personnes », « résidents »
et « citoyens ».
Les exemples suivants illustrent ces tendances: “Helping people who really need
it”, “helping my community”, “making positive change”, “meeting the citizens”.
Ce choix de mots indique une volonté d’être utile et d’être en contact avec les
personnes, car cette notion d’aide est souvent mise en lien avec l’idée
d’interagir avec les gens et les rencontrer. Troisièmement, s’il s’agit certes
d’aider, d’agir pour la communauté et de rencontrer des résident·e·s, cela
s’exprime cependant différemment, avec un accent parfois mis sur les personnes «
Engaging with people », « Helping people with issues that they cannot seem to
get done on their own » parfois sur le fait de participer à faire grandir et
prospérer la communauté « Interest in helping my community grow and prosper »,
parfois sur ces deux aspects (« I love meeting citizens and helping to create
the booming little city on the east coast! »). Les réponses à ces questions
peuvent être perçues comme une chambre d’écho aux motivations premières de ces
personnes à s’engager en politique municipale, comme le rappelle ce répondant :
« […] It's my dream job: I get to represent and advocate for the neighbourhood
in which I grew up; vote for and advance a progressive, environmentalist agenda
for my city; and help residents in their day-to-day lives ».
À cette question, les élus·e· quelle que soit leur fonction de conseiller ou de
maire affirment que les médias sociaux sont les éléments qu’ils et elles
apprécient, ainsi que d’interagir avec certain·e·s personnes. La question du
temps complète également dans ces réponses.
Les références aux médias sociaux sont en lien avec des critiques reçues et un
stress inhérent à ce type de médium. Les exemples suivants illustrent le type de
réponses reçues :
"Stress from social media harassment [...]" "Social media, without a doubt.
First, because it imposes additional obligations for virtually any kind of
event ('if it's not on Facebook, you weren't there?), and second - and more
seriously - because it seriously degrades the tone and quality of public
discussion and debate, especially with constituents."
À cela s’ajoutent les interactions parfois difficiles avec les citoyen·ne·s («
Dealing with chronic complainers »), mais aussi avec certains membres du
conseil. Certaines réponses évoquent des relations difficiles au sein du conseil
municipal « Dealing with fellow councillors » ou le caractère politique de
certaines réunions (« Politics that interfere with rational decision-making »).
La question du temps est abordée – tous genres et types de postes confondus – au
regard du temps consacré à la fonction et à ses répercussions :
"Not being a full-time mayor time management and the ability to find time
especially around visionary work." "Time away from family" "It is a very low
paying job with full time hours. I would like to be able to give my position
100% but I need to have another job so that I can afford to live here." "Time
demands" "[...] it is difficult to manage the work I am doing at the wage I am
earning while not having sufficient extra income to save for my future [...]
At 30 hours per week it doesn't give me enough time to do extra well paid work
while balancing a chaotic and ever changing council schedule"
D’autres réponses impliquent le mot « décisions », en lien tant avec la
difficulté parfois à prendre certaines décisions, leur caractère parfois
politique, ou bien encore faire face aux personnes qui ne comprennent pas les
décisions prises en raison d’un manque d’information.
Les réponses à ces questions ne constituent qu’un aperçu des hauts et des bas de
la fonction d’élu·e municipal·e. Des entrevues semi-dirigées avec ces élu·e·s
permettraient de saisir en détails et en profondeur les propos mentionnés par
les répondant·e·s, et ce, notamment parce que ce portrait quantitatif n’offre
pas de distinctions fines entre hommes et femmes, ni selon le type de poste
occupé. Ce que les élu·e·s préfèrent le plus dans leur fonction répond bien
souvent aux idéaux sur lesquels ils et elles se sont engagées en politique :
faire une différence, agir pour le bien commun et participer au futur de la
municipalité. Les réponses laissent entrevoir les différentes conceptions de la
fonction élective. Ces idéaux peuvent cependant entrer en contradiction avec la
réalité du terrain. Les comportements inappropriés de résident·e·s, ont donné
lieu récemment à l’adoption de « code de conduite » par certaines municipalités
(Farrell 2024) ou bien encore à des condamnations (Péloquin 2024) . La question
des médias sociaux a aussi récemment été pris de front par quelques élu·e·s qui
se mettent en scène et lisent publiquement sur les réseaux sociaux les insultes
ou autres critiques agressives qu’ils et elles (ou les employé·e·s de la ville)
peuvent recevoir (Krol 2023). Ainsi, bien que nos résultats datent de 2020, ils
n’en font pas moins écho à des réalités contemporaines. Il en va de même pour la
référence au temps. De nombreux travaux ont questionné ce rapport entre le temps
investi par rapport au salaire des élu·e·s (Mévellec, Chiasson, et Couture 2022;
Breux 2022), mais également par rapport à la conciliation travail-famille, mais
aussi travail-travail (Bouchard et al. 2024). Ces enjeux méritent d’être creusés
de nouveau, peut-être aussi au regard de ce que Dalibert nomme le «
surengagement » (2023).
Références bibliographiques
Bouchard, Joanie, Eugénie Dostie-Goulet, Véronique Labelle, Marjorie Prince, et
Judith Maroux. 2024. « Les préocuupations des élues et élus. De nouveaux enjeux
dans un monde en changement ». Fédération québécoise des municipalités.
https://fqm.ca/wp-content/uploads/2024/03/ra_preoccupations_elues_et_elus_2023.pdf.
Breux, Sandra. 2022. « Les maires et leur rémunération : une enquête
pancanadienne ». Politique et Sociétés 41 (1): 85‑112.
https://doi.org/10.7202/1085183ar. Dalibert, Louise. 2023. « Le temps libre des
élu· es: un révélateur des rétributions du métier politique ». Mouvements
2:149‑61. Farrell, Jack. 2024. « This Alberta town has adopted a new resident
code of conduct to address staff safety ». CBC News, 2024, 23 septembre édition.
https://www.cbc.ca/news/canada/edmonton/another-alberta-town-has-adopted-a-new-resident-code-of-conduct-to-address-staff-safety-1.7322358.
Krol, Ariane. 2023. « Des vidéos pour prévenir l’incivilité ». La Presse (site
web) - La Presse, 2023, 25 février édition.
https://www.lapresse.ca/actualites/agressivite-contre-les-employes-municipaux/les-villes-contre-attaquent/2024-02-25/des-videos-pour-prevenir-l-incivilite.php.
Mévellec, Anne, Guy Chiasson, et Jérôme Couture. 2022. « La rémunération des
élus municipaux québécois : unité des discours, diversité des pratiques ».
Politique et Sociétés 41 (1): 35. https://doi.org/10.7202/1085181ar. Mévellec,
Anne, et Manon Tremblay. 2016. Genre et professionnalisation de la politique
municipale: un portrait des élues et élus du Québec. Québec (Québec): Presses de
l’Université du Québec. Péloquin, Tristan. 2024. « 700$ pour contrôler un
citoyen harceleur ». La Presse, 2024, 29 août édition.
https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2024-08-29/saint-constant/700-000-pour-controler-un-citoyen-harceleur.php#:~:text=La%20Ville%20de%20Saint%2DConstant,et%20fonctionnaires%20de%20la%20Ville.
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